IX
L’ATTAQUE

Bolitho s’assit nerveusement près de sa table et observa Keen, dont les doigts agiles s’activaient avec les pointes sèches et qui se livrait à quelques calculs sur la carte.

Bolitho s’était penché à plusieurs reprises pour observer ses progrès. Il se sentait toujours aussi désespéré. Il avait l’impression d’être à demi aveugle. Et quant à lire la carte, mieux valait n’y point penser.

Il songeait à sa petite escadre qu’il venait de retrouver dans le golfe du Lion et qui s’était de nouveau éparpillée. L’Hélicon et la Dépêche avaient établi toute la toile qu’ils pouvaient supporter et faisaient route vers les îles pour compléter le plein d’eau douce. Bolitho fronça le sourcil, ce qui lui causa immédiatement une douleur à l’œil gauche. Lorsqu’ils seraient de retour, il leur faudrait rester groupés aussi longtemps que possible sans laisser Jobert reprendre l’initiative.

Le rapport d’Inch était d’excellente qualité. Il avait ordonné au Barracuda de rester sur place et de fouiller tous les navires côtiers sur lesquels il tomberait. À bord de l’un d’eux, il avait découvert que deux gros vaisseaux de guerre français étaient passés dans les eaux espagnoles, juste au droit de la frontière et à moins de deux cents milles dans le sud-ouest de Toulon. Pas besoin de se demander pourquoi l’escadre de blocus de Nelson avait vu aussi peu de vaisseaux français dans les parages de ce grand port. Ces maigres nouvelles avaient été comme une lueur.

Lors de la conférence des commandants, Bolitho avait ressenti que l’atmosphère était à la méfiance, pour ne pas dire à l’incrédulité. Pourtant, s’il était, et pour cause, incapable de déchiffrer leurs traits, il avait senti que ce qu’il disait faisait son chemin.

L’Espagne était toujours l’alliée de la France, de son plein gré ou non. Dans ces conditions, elle inspirait presque de la sympathie, car Bonaparte ne lui avait guère laissé de choix. Il avait exigé six millions de francs de contribution mensuelle, plus divers autres services de taille. Pour échapper à cet ultimatum insultant, l’Espagne pouvait décider de déclarer une fois de plus la guerre à l’Angleterre. Et la France lui avait clairement fait comprendre que, si elle ne se décidait pas dans le sens voulu, elle lui ferait la guerre.

Si ce qu’écrivait Inch était vrai, il était peu probable que Jobert fût entré dans les eaux espagnoles sans l’accord d’une autorité bien plus haut placée à Paris. Un pas de plus pour contraindre les Espagnols à prendre parti dans le conflit.

Lorsqu’il repassait cette conférence dans sa tête, Bolitho éprouvait un certain malaise. Il avait l’impression que les commandants avaient mis un temps fou à regagner leurs bords. Comment le percevaient-ils à présent ? Pas atteint le moins du monde par ses blessures ? Ou bien avaient-ils percé à jour sa tentative désespérée pour les convaincre qu’il était toujours leur chef ?

Le lieutenant de vaisseau Stayt souleva la portière de toile.

— Le commandant Lapish attend ses ordres, amiral.

— Très bien.

Keen jeta un coup d’œil à Bolitho et lâcha ses pointes sèches. Il savait à quel point celui-ci renâclait à se séparer de sa seule frégate. Mais, en cas de bataille, chaque bâtiment devait être capable de se défendre par ses propres moyens le plus longtemps possible. On pouvait rationner la poudre, il était impossible de survivre sans eau douce.

Quand l’aide de camp se fut retiré, Keen dit :

— Lapish sait ce qu’il a à faire. Je lui ai parlé lorsqu’il est venu à bord – il esquissa un bref sourire. Il a plus que hâte de se racheter, à mon avis.

Lorsque Lapish arriva, Bolitho lui dit :

— Retournez à ce poste le plus tôt possible.

Il le vit acquiescer, mais ses yeux piquaient d’avoir trop servi, et il ne pouvait distinguer son expression.

— Vous savez ce que vous avez à faire ?

Lapish répondit, comme s’il récitait sa leçon :

— Je dois transformer mon bâtiment en deux-ponts avant de reprendre le blocus, amiral.

Pas la moindre trace d’hésitation dans sa voix, mais Bolitho le soupçonnait de se demander si, non content d’être à moitié aveugle, son amiral n’était pas en outre un peu dérangé.

— Bien, fit Bolitho avec un sourire. Servez-vous de toute votre toile de rechange et des housses de hamac. Ce n’est pas une première. Vous tréfilez le tout sur les passavants, vous peignez grossièrement des carrés noirs pour imiter des sabords, et personne ne se rendra compte de rien à quelque distance : on vous prendra pour un vaisseau de troisième rang. S’ils viennent vous renifler d’un peu trop près, ajouta-t-il pour renforcer son discours, prenez-les à l’abordage ou coulez-les.

Bolitho savait que la petite frégate légère pouvait rester de conserve avec les deux soixante-quatorze, faire le plein d’eau douce et partir devant eux pour se rapprocher des côtes françaises. Une fois à son poste, on la considérerait comme faisant partie de son escadre. Cela permettrait à Bolitho de rassembler toutes ses forces, et Lapish pourrait alors, après s’être débarrassé de ses déguisements, revenir vers lui s’il détectait des mouvements chez l’ennemi. Les vigies, amies ou ennemies, ne voyaient en général que ce qu’elles s’attendaient à voir. Cela donnait au Rapide un rôle de la plus haute importance : c’était sa seule source d’information.

Après que Lapish eut regagné son canot, accompagné par Keen, l’Argonaute avait remis à la voile et, de conserve avec l’Icare, avait fait cap au suroît. Les deux vaisseaux naviguaient en ligne de front, ce qui augmentait le champ de vision des vigies. Le Rapide était si loin devant qu’il devint rapidement à peine visible, même pour les veilleurs de hune.

Keen revint à sa carte :

— Les Français ont été aperçus près du cap Creus, amiral. C’est un mouillage idéal, et il se trouve à moins de vingt milles de la frontière française. S’ils y sont toujours, nous pourrions aller y voir ?

Bolitho jouait avec les pointes sèches.

— L’Espagne pourrait le prendre comme une provocation. D’un autre côté, cela montrerait aux Espagnols le cas que nous faisons de leur neutralité à sens unique. Et pour une fois, cela mettrait Jobert sur la défensive.

Plus il y réfléchissait, moins il voyait de solution de rechange. Jobert avait jusqu’ici mené le jeu et il avait presque réussi à détruire l’escadre de Bolitho. Il fallait le provoquer et l’attirer au large. L’hiver serait bientôt là et, Méditerranée ou pas, l’état du temps allait favoriser l’ennemi, pas les bâtiments qui patrouillaient pour maintenir le blocus.

On attendait au cours des prochaines semaines un convoi pour Malte, et l’ennemi devait le savoir. À partir du moment où les transports avaient jeté l’ancre devant Gibraltar, même brièvement, ses espions allaient donner l’alerte et sans doute aussi fournir des renseignements sur leur cargaison.

Ils n’avaient pas suffisamment de bâtiments de guerre. Sur ce point aussi, Nelson avait raison.

Bolitho se frotta l’œil. Il allait probablement trouver le mouillage désert. Et s’ils rencontraient une patrouille espagnole ? Fallait-il combattre ou se retirer ? Il conclut avec une grimace :

— Atterrissage demain, Val.

— Bien, amiral.

Si la présence à bord de la jeune fille, alors qu’ils risquaient de combattre, le rendait inquiet, le ton de sa voix n’en montrait rien.

Bolitho poursuivit :

— Ce serait bien de manifester quelque peu nos arrière-pensées, Val. Coup pour coup. Jobert serait obligé de sortir pour se venger, ce qui n’a jamais tenté un amiral.

Il se détourna et s’approcha des fenêtres de poupe. C’est pourtant ce que je cherche à faire.

Lorsque Keen se fut retiré, Allday entra et demanda :

— Avez-vous besoin de quelque chose, amiral ?

Bolitho devina immédiatement au son de sa voix qu’il n’était pas à ce qu’il disait.

— Qu’y a-t-il ?

Allday baissa les yeux.

— Rien, amiral.

Bolitho se laissa tomber dans son fauteuil tout neuf.

— Allez, crachez le morceau.

Mais Allday, toujours aussi buté, répondit :

— Je préfère mettre mon mouchoir par-dessus, amiral, si vous n’y voyez pas d’objection.

Le pousser dans ses retranchements ne servait à rien. Allday ressemblait à un chêne, et il avait des racines profondément enfoncées. Il parlerait lorsque l’heure serait venue. Pour l’instant, il se saisit du splendide sabre d’honneur et le glissa sous son bras. Manifestement, il avait besoin de se changer les idées.

Tuson arriva à son tour. Bolitho avait appris à tolérer le traitement régulier du chirurgien et à cacher sa souffrance lorsque on refaisait son pansement.

Depuis combien de jours cela durait-il ? Il ouvrit l’œil gauche et regarda fixement par les fenêtres de poupe. Une lumière noyée d’humidité et un horizon bleu foncé ? Il se raidit soudain, rempli d’un élan d’espoir. Puis il serra les poings lorsque le rideau obscur redescendit, lui ôtant la vision.

Tuson surprit son geste et lui dit :

— Ne vous désespérez pas, amiral.

Bolitho attendit qu’il lui eût remis son bandage. Il valait presque mieux ne rien voir d’un œil que de perdre espoir. Il demanda brusquement :

— Mon maître d’hôtel, que lui arrive-t-il ?

Tuson le regarda dans les yeux :

— Bankart, amiral, son fils. C’est bien dommage qu’il soit à bord, si vous voulez mon avis.

Bolitho l’attrapa par la manche de sa chemise :

— Continuez, cher ami, vous pouvez me parler et vous devriez le savoir.

Tuson referma sa mallette.

— Comment prendriez-vous la chose, amiral, si vous appreniez que votre neveu est un poltron ?

Bolitho entendit la porte qui se refermait, puis le claquement d’une crosse de mousquet : le factionnaire changeait de position derrière l’écran de toile.

Un poltron. Des souvenirs désagréables resurgissaient, ce mot l’obsédait comme une souillure.

Le moment où l’aspirant Sheaffe s’était trouvé tout seul, sans doute blessé. Le combat sur le pont du Suprême, et Bankart qui avait disparu. Tuson avait dû glaner tout cela ou presque auprès des hommes venus le voir pour se faire panser.

Il entendait encore ce que disait Stayt à bord du cotre, le ton de sa voix. À ce moment-là, il se doutait déjà de quelque chose.

Mais comment pouvait-il perdre son temps à des choses pareilles alors qu’on attendait tant de lui ? Il repensa aux ordres qu’il avait donnés à Lapish. Prenez-les à l’abordage ou coulez-les. La dureté avec laquelle il avait prononcé ces mots. Etait-ce là ce que son nouvel état d’aveugle avait fait de lui ? Mais il se souvenait aussi de la violence avec laquelle il avait sabré le marin français qui tenait la lunette de leur veilleur : sans une seule pensée, sans la moindre hésitation. Non, c’était quelque chose de plus profond chez lui. Belinda s’en était peut-être rendu compte, peut-être craignait-elle de le voir détruit par la guerre avec autant de force qu’un boulet ou un coup de pique.

Mais il se préoccupait pourtant de tout. Des gens, d’Allday plus encore que de tous les autres. Tuson avait mis le doigt dessus. Qu’aurait-il ressenti si Adam s’était montré lâche ?

Cette nuit-là, tandis que l’Argonaute plongeait et se relevait dans une mer agitée parsemée de moutons blancs, Bolitho, allongé dans sa couchette, avait essayé de dormir. Lorsqu’il avait fini par s’assoupir, il songeait à Belinda, ou bien était-ce à Cheney ? Il rêvait à Falmouth et à une bataille navale qui tournait au cauchemar, au cours de laquelle il se voyait périr.

Le lendemain, Le Rapide intercepta un bâtiment de pêche portugais, mais seulement après avoir été contraint de tirer un boulet entre ses bossoirs.

Les renseignements obtenus arrivèrent finalement jusqu’au vaisseau amiral. Le pêcheur avait traversé le golfe de Rosas en passant sous le cap deux jours plus tôt. Un gros bâtiment de guerre français y relâchait au mouillage.

Bolitho faisait les cent pas sur son balcon de poupe, insensible au vent et aux embruns, qui eurent vite fait de le tremper jusqu’aux os.

Le français n’allait probablement pas prendre le chemin de Gibraltar. Il pouvait soit rester à l’ancre, soit décider de rentrer à Toulon.

L’Argonaute devait s’interposer entre lui et sa destination, quelle qu’elle fût.

Il fit demander son aide de camp.

— Signalez à l’Icare de demeurer là où il est. Et que Le Rapide reste avec lui.

S’il en avait été capable, il aurait vu Stayt lever le sourcil. Bolitho regagna sa table à tâtons et essaya d’étudier la carte, sans trop d’espoir.

Puis il se tourna vers Stayt et lui dit en souriant :

— Demain, l’Argonaute naviguera sous ses anciennes couleurs.

— Et en supposant que ce soit Jobert, amiral ? Il le reconnaîtra sûrement.

— Non, il sera avec son escadre. Lorsque nous saurons où exactement…

Il laissa sa phrase en suspens.

Quelques minutes plus tard, des volées de pavillons multicolores s’envolaient aux vergues. L’Icare fit l’aperçu, puis ce fut au tour du petit brick.

Si le vent refusait, il devrait revoir ses plans. Mais dans le cas contraire, et le pilote semblait croire qu’il allait rester au sud, ils avaient une chance de rencontrer l’ennemi.

Et cette côte que l’ennemi considérait comme un refuge risquait de se refermer bientôt sur lui comme les mâchoires d’un piège.

 

Dans sa chambre, le capitaine de vaisseau Valentine Keen consacra quelques instants à vérifier qu’il ne lui manquait rien de ce dont il aurait besoin au cours des prochaines heures. Tout autour de lui, son bâtiment était calme. On entendait seulement le grincement régulier de la charpente et le chuintement étouffé de l’eau contre la carène.

C’était toujours ainsi, songeait-il : l’incertitude, des doutes, mais, au-delà de tout, une détermination sans faille. Il aperçut son image dans le miroir et fit la grimace. Dans un instant, il allait monter sur le pont et ordonner le rappel aux postes de combat. Il sentit son échine se glacer. Cela aussi, c’était normal. Il inspecta sa tenue avec le même soin que s’il avait été son propre subordonné. Une chemise, un pantalon propres, ce qui diminuait les risques d’infection si le pire arrivait. Il se tâta le flanc, réveilla la douleur de sa vieille blessure. On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Il se vit enfin sourire dans la glace. Il avait serré dans son coffre une lettre pour sa mère. Mais combien en avait-il écrit de semblables ?

Quelqu’un frappa légèrement à la porte. C’était Stayt.

— Sir Richard est monté sur le pont, commandant.

Cela ressemblait à un avertissement.

Keen hocha la tête.

— Merci.

Stayt disparut dans la pénombre. Un oiseau de malheur, songea-t-il.

Il était presque l’heure. Il fit jouer son sabre dans le fourreau et s’assura de ce que sa montre était bien dans le fond de sa poche, en cas de chute.

Il entendit des gens parler à voix basse et ouvrit la porte sans leur laisser le temps de frapper.

L’espace d’un instant, il ne vit que le pâle ovale de son visage. Le manteau de mer qu’il lui avait fait porter un peu plus tôt l’enveloppait des pieds à la tête.

Il faisait très sombre à l’extérieur, mais il devina des silhouettes qui allaient de-ci de-là. On entendait les grincements de la roue sur la dunette.

Il la fit entrer dans la chambre. Bientôt, comme tout le reste de l’équipage, il serait nu jusqu’à la ceinture, prêt à se battre.

Le vaisseau français ne serait peut-être pas au rendez-vous, mais il chassa cette pensée. La brise était fraîche et aucun commandant n’a envie de se battre ou de terminer au vent d’une côte.

Il prit ses mains.

— Vous serez en sécurité, ma douce. Restez dans la cale avec Ozzard, il prendra soin de vous. Où est votre compagne ?

— Millie est déjà descendue.

Elle tendait son visage vers lui, ses yeux paraissaient très sombres à la lueur de la lanterne sourde.

Keen ajusta son manteau et sentit ses épaules se raidir lorsqu’il l’effleura.

— Il fera froid en bas, ce manteau vous sera utile.

Il avait bien conscience qu’il devait y aller, mais quelque secondes, quelques minutes… Il ajouta :

— N’ayez pas peur.

Elle secoua la tête :

— C’est pour vous que j’ai peur. Si jamais…

Il lui ferma la bouche :

— Non. Nous nous retrouverons bientôt.

Un homme se mit à tousser dans l’obscurité. C’était sans doute Hogg, son maître d’hôtel.

Il la serra tout doucement contre lui, il s’imaginait entendre son cœur battre, il se rappelait avoir tenu son sein dans sa main. Il murmura :

— En vérité, Zénoria, je vous aime.

Elle recula et se retourna pour le regarder. Pour garder ce souvenir, pour se rassurer, il ne savait trop.

Il attrapa sa coiffure à la volée et se dirigea vers la dunette. Il y trouva Bolitho près des filets au vent, le corps penché à l’oblique.

Argonaute taillait sa route vaille que vaille bâbord amures à une allure assez inconfortable et serrait le vent d’aussi près que possible.

Le quartier-maître annonça :

— En route au noroît, commandant !

Keen imaginait facilement la situation. Toute la nuit, le bâtiment avait lutté pour faire route contre le vent afin de donner un large tour au cap avant de virer en direction de la terre et de la petite baie dans laquelle le français était supposé se trouver. Tout ce travail harassant qui consistait à rétablir les voiles et à virer de bord des dizaines de fois trouverait sa récompense dans la phase finale de l’approche. Ils auraient l’avantage du vent ; même si l’ennemi parvenait à les éventer, il avait une seule issue pour s’échapper et il trouverait l’Icare et Le Rapide sur son chemin.

Keen songea à la jeune fille serrée dans ses bras, aux commentaires acides du commandant de l’Icare. Ce jour-là, il s’était fait un ennemi.

Bolitho se retourna en lui demandant :

— Dans combien de temps ?

Keen voyait bien qu’il penchait la tête comme s’il souffrait, et il avait le sentiment que cette souffrance était la sienne.

— Je vais rappeler aux postes de combat à l’aube, amiral.

Bolitho s’accrocha aux filets : le bâtiment se mit à trembler violemment en tombant dans un creux. On avait l’impression qu’il se secouait de la guibre au tableau.

— Les hommes auront-ils mangé ?

Keen sourit tristement.

— Oui, amiral, la cambuse est parée.

Il avait failli ajouter : « naturellement ». Il avait appris bien des choses sous l’égide de Bolitho.

Mais Bolitho semblait décidément avoir besoin de parler.

— Les femmes sont-elles en bas ?

— Oui, amiral.

Il songea à la domestique jamaïcaine, Millie. Il la soupçonnait d’avoir une liaison avec Wenmouth, le caporal d’armes du bord, celui-là même qui avait été désigné pour la protéger. Mais il continua :

— Je dois dire que je n’aime pas trop l’idée de la savoir en bas pendant le combat.

— Si combat il y a, fit Bolitho en tâtant son pansement. Mais pour le moment, elle est mieux là-bas, Val, qu’abandonnée dans quelque port inconnu – et, souhaitant malgré tout le réconforter : Vous avez de la chance de l’avoir si près de vous, fit-il observer.

Les sifflets résonnèrent dans les entreponts, puis les officiers mariniers houspillèrent les hommes pour leur faire serrer et ranger les hamacs. En l’espace de quelques minutes, le pont supérieur, qui était désert à l’exception de l’équipe de quart, se trouva rempli d’hommes qui couraient ranger dans les filets leurs branles roulés en boule, là où ils offriraient une protection contre les éclis et les balles de mousquet.

La cheminée de la cambuse laissait échapper une forte odeur de porc grillé. Bolitho entendait par une claire-voie entrouverte le chant d’un violon. Il était temps de se restaurer, d’enfiler des vêtements propres, de partager un verre et une chanson avec un ami. Et pour certains, ce serait la dernière fois.

Keen était parti à l’avant afin de s’entretenir avec le maître bosco, et Bolitho se retourna, à la recherche de l’officier de quart.

— Monsieur Griffin !

Cette ombre n’était pas celle de l’officier, mais celle de l’aspirant Sheaffe. Bolitho haussa les épaules :

— Peu importe. Vous serez tout aussi capable de me décrire ce qui se passe.

Sheaffe s’approcha de lui.

— Mr. Fallowfield dit qu’il commencera à faire jour dans une demi-heure. Le temps est couvert, comme vous pouvez le voir, amiral – mais, se reprenant presque sur-le-champ : Je vous demande pardon, sir Richard, se corrigea-t-il.

— Il va falloir que je m’habitue, lui répondit Bolitho. Mais je serai heureux quand le jour sera levé.

L’heure fatidique arriva enfin. Keen, revenu à l’arrière, le salua.

— Les feux sont éteints, amiral. Le déjeuner a été un peu bousculé, j’en ai peur.

Mais il a été nourrissant, lui répondit Bolitho en souriant, si j’en crois l’odeur de rhum.

Des ombres passaient, se confondaient avant de se séparer, la lumière prenait une teinte plus claire.

— Ohé du pont ! Terre sous le vent !

Bolitho entendit Fallowfield qui se mouchait. Il était sans doute soulagé. Keen s’exclama :

— Voilà un atterrissage à l’heure pile, amiral ! Je peux mettre en panne, mais…

Bolitho se tourna vers lui, ses cheveux flottant au vent.

— Souvenez-vous bien de ce que je vous ai dit, Val. Ne pensez à rien d’autre qu’au combat.

Cette soudaine bouffée de dureté tomba aussi brusquement qu’elle était venue, et il ajouta :

— Sans cela, notre bonne Zénoria se retrouvera veuve avant même d’être mariée !

Keen partit dans un éclat de rire. C’était contagieux.

Il mit ses mains en porte-voix, mais s’arrêta une seconde en apercevant un mince rai de lumière qui descendait le long du mât de perroquet comme une coulée d’or. Puis il ordonna :

— Monsieur Paget ! Rappelez aux postes de combat, je vous prie !

Bolitho prit une bonne goulée d’air. Les tambours battaient, les sifflets lançaient leurs trilles pour faire s’activer puis se rassembler l’équipage.

Il n’avait pas besoin de voir pour imaginer ce qui se passait. On entendait des craquements et des bruits sourds en bas, les portières de toile et les objets personnels que l’on évacuait. On sortait la poudre de la sainte-barbe, on jetait du sable sur les ponts pour éviter aux canonniers de glisser et, le cas échéant, pour absorber le sang répandu.

Bolitho devina la présence d’Allday et leva le bras pour le laisser mettre son sabre en place.

Ensemble. Un nouveau combat, victoire ou défaite, qu’en resterait-il au bout du compte ?

Il essayait de ne pas trop penser à la cérémonie au cours de laquelle il avait été adoubé. Tous ces visages bien roses. Se souciaient-ils vraiment de gens comme lui, du prix qu’il fallait payer pour préserver le confort des terriens ?

La voix de Paget résonna :

— Parés aux postes de combat, commandant !

— Parfait, monsieur Paget, lui répondit Keen, mais la prochaine fois, je désire que vous gagniez encore deux minutes !

— Bien, commandant, bien.

C’était un jeu. Le commandant et son second. Comme Thomas Herrick et moi, songea Bolitho.

Il aperçut le passavant le plus proche qui prenait forme, les rangées de hamacs qui faisaient comme des silhouettes encapuchonnées. Les volées des dix-huit-livres sur le pont supérieur se dressaient fièrement sur le plancher briqué. Le bâtiment reprenait vie.

Keen cria d’une voix forte :

— Nouveau cap, trois rhumbs sur tribord ! Venez nord-quart-ouest !

Paget empoigna son porte-voix :

— Allez, du monde aux bras !

Keen s’agrippa à la lisse de dunette et observa les grandes vergues que l’on faisait pivoter tandis que l’on mettait de la barre. Ce n’était pas grand-chose, mais cela suffisait à augmenter la poussée des voiles et à renforcer le vent relatif sur la dunette.

Comme les bossoirs défilaient, il aperçut pour la première fois un lambeau de terre qui semblait faire glisser le vaisseau au vent. Il allait se retourner pour en informer Bolitho, mais se tut en voyant l’amiral immobile au même endroit et Allday qui se tenait immédiatement derrière lui. Bolitho n’avait rien vu du tout, Keen en fut à la fois ému et mal à son aise.

Allday lui jeta un coup d’œil bref, mais qui, à Keen, en disait long. Cela signifiait : « Comptez sur moi. »

— Allez, monsieur Griffin, ordonna Keen, grimpez là-haut et dites-moi ce que vous voyez.

Il aperçut près des drisses l’aspirant Sheaffe et l’équipe des signaux ; un grand pavillon tricolore était étalé sur le pont.

Keen prit une lunette et grimpa dans les enfléchures. Le soleil effleurait la terre, mais on ne distinguait pas grand-chose. Ils longeaient la côte, à environ deux milles de distance. La baie ne faisait que dix milles au plus large et, à l’une de ses extrémités, un cap rocheux qui s’inclinait la transformait en un abri ou un mouillage parfaits.

— Des bâtiments ? demanda Bolitho.

— Toujours rien, amiral.

Bolitho soupira :

— C’est assez différent de notre dernière mission à San Felipe, hein ? – puis, semblant dominer sa mauvaise humeur : Envoyez les couleurs et établissez le petit perroquet, ordonna-t-il. Si nous avons de la chance, il faudra être manœuvrants.

Keen fit un geste à son second, mais s’immobilisa en entendant la voix de la vigie qui les fit tous lever la tête :

— Ohé, du pont ! Bâtiment droit devant !

Keen regardait intensément, à s’en faire pleurer, trépignant d’impatience. L’enseigne de vaisseau Griffin cria enfin :

— Vaisseau de ligne, commandant ! À l’ancre !

Keen vit le grand pavillon tricolore monter à la corne, tandis que les hommes avançaient sur les marchepieds pour envoyer davantage de toile.

Du pont, le bâtiment au mouillage était invisible, mais même en tenant compte de la lunette de Griffin ils pouvaient être dessus dans l’heure.

— En route au noroît !

Keen entendit Bolitho qui disait doucement :

— En fin de compte, on dirait bien que nous avons un peu de chance.

 

Le temps pour le soleil de toucher le pont supérieur, Bolitho sentit la tension monter autour de lui. Les vigies continuaient de faire périodiquement leur rapport. Il était partagé entre l’envie de demander des comptes à Keen à chaque instant et la crainte de l’agacer avec ses questions.

Keen s’approcha soudain de lui et se protégea les yeux pour inspecter les voiles. Plus haut, les nuages s’étaient un peu éclaircis et laissaient passer des rayons de soleil qui coloraient le vaisseau et la mer tout autour de lui. Il annonça :

— Le français est mouillé sur une seule ancre, il n’est pas embossé.

Il se tut pour laisser à Bolitho tout loisir de se représenter ce qu’il en était. Avec ce vent qui soufflait toujours du sud, l’autre bâtiment allait s’orienter dans leur direction comme s’ils étaient en route de collision et laisserait exposé son avant bâbord. Il reprit :

— Il n’y a aucun signe d’activité particulière. Pour le moment. Mr. Griffin a aperçu quelques embarcations le long du bord, dont une citerne à eau.

Bolitho repensa soudain au Suprême, à Hallowes qui, mourant, lui tenait la main.

— Voilà qui tombe à propos.

— Avec votre consentement, amiral, j’ai l’intention de passer entre lui et la terre. Il y a plus d’eau qu’il n’en faut par là-bas. Nous pourrons alors prendre l’avantage et le canonner au passage.

Tout en parlant, il entendait distraitement les cris sauvages des chefs de pièce, la voix encore plus terrible du maître canonnier, le très redouté Crocker. Il se tenait près de la bordée tribord, il allait apprécier.

— Bâtiment, commandant ! À bâbord avant !

Keen arracha sa lunette à l’aspirant Hext. Puis il annonça :

— Un espagnol. C’est l’une de leurs corvettes.

Stayt glissa :

— Elle essaie de se rapprocher, commandant, elle a manqué faire chapelle.

— Monsieur Sheaffe, ordonna Keen, surveillez ses signaux. Elle va bientôt nous menacer – et d’une voix plus forte : Vous là-bas, sur le pont ! Gardez l’œil sur le français, pas sur cette moque à peinture !

Quelqu’un se mit à rire.

— A mon avis, fit Bolitho, il n’y aura pas de signal du tout. Les Espagnols ne voudront pas trop afficher leur collusion.

La petite corvette changeait d’amures, l’eau bouillonnait autour de ses sabords comme si elle avait touché.

Plus loin derrière elle, la terre couverte de verdure s’élevait assez haut, quelques taches blanches signalant çà et là des maisons isolées.

Peut-être y avait-il une batterie, mais Bolitho en doutait. La première garnison de quelque importance se trouvait à leur connaissance à Gérone, à seulement vingt milles dans les terres. C’était suffisant pour dissuader tout envahisseur potentiel.

Le petit bâtiment de guerre espagnol n’était plus qu’à une encablure. Bolitho entendit le cliquetis d’un palan à l’avant de l’Argonaute, on décaponnait une ancre comme pour se préparer à mouiller. À bord du français, tous les yeux étaient certainement fixés sur eux. Ses préparatifs devaient se voir aussi nettement que l’on voyait sa coque et son gréement.

Bolitho bouillonnait intérieurement de ne rien voir. Il emprunta la lunette de Stayt et la pointa à travers les filets. Il aperçut la corvette qui gîtait fortement, son pavillon sang et or claquant presque par le travers et le bâtiment venant dans le vent. Il ne pouvait se cacher qu’il n’y voyait guère et que, sans sa lunette, il serait totalement impuissant. Tuson allait encore lui reprocher sévèrement de trop fatiguer son œil valide. Mais le chirurgien se trouvait dans son infirmerie, où il attendait la prochaine moisson.

Bolitho revit la jeune fille, ces regards pleins de tendresse qu’elle avait échangés avec Keen. Allaient-ils trouver le bonheur ? Leur en laisserait-on le loisir ?

— Crédieu, amiral, grommela Fallowfield, le vent tourne !

Les hommes se précipitèrent une fois de plus aux drisses et aux bras, et Keen annonça :

— Il vient au suroît si je ne me trompe, amiral.

Bolitho acquiesça, il revoyait la carte dans sa tête. Le vent tournait. Comme aurait dit Herrick, Dame Fortune était avec eux.

Keen cria :

— Paré à carguer la voile de misaine, monsieur Paget !

De la corvette, une voix faible les hélait. Bolitho suggéra :

— Faites-leur de grands signes avec votre coiffure !

Keen et Stayt s’exécutèrent cependant que l’espagnol glissait rapidement à bâbord.

Encore un mille à parcourir. Bolitho s’accrocha à la lisse et essaya de voir quelque chose au milieu de l’entrelacs du gréement et des focs bordés. Il distinguait l’ennemi, légèrement incliné par tribord avant, exactement comme le lui avait indiqué Keen.

Celui-ci se tourna vers Paget d’un air entendu :

— Chargez, je vous prie.

L’ordre fut immédiatement répercuté à coups de sifflet aux ponts inférieurs. Bolitho imaginait les canonniers en train de s’activer avec les charges et les écouvillons dans la demi-pénombre qui régnait derrière les sabords fermés, le dos luisant de sueur. De ces scènes-là, il avait été si fréquemment acteur et, plus souvent encore, spectateur assidu depuis l’âge de douze ans. Les servants près de leurs pièces, les pavois peints en rouge pour qu’on ne vît pas le sang, et, çà et là, un uniforme bleu et blanc signalant un de ceux qui étaient chargés de faire régner la discipline, officiers ou officiers mariniers.

Il ne fallut pas longtemps pour apprendre de tous les ponts qu’ils étaient parés.

Bolitho entendit le capitaine Bouteiller, fusilier marin, donner à voix basse ses ordres à Orde, son adjoint. Comme ses hommes, il s’était accroupi pour se dissimuler aux yeux de l’ennemi. La seule vue d’une tache rouge aurait mis en émoi un nid de frelons.

— Carguez la misaine !

Paget avait la voix rauque. Il leur fallait faire semblant de réduire la toile comme s’ils s’apprêtaient à jeter l’ancre.

Bolitho s’éloigna de la lisse, les mains dans le dos. Cela ne pouvait plus durer très longtemps. Seule chose certaine, Jobert n’était pas là. Il aurait été prêt à se battre dès que son ancien vaisseau amiral serait apparu dans les premières lueurs de l’aube.

— Cinq encablures, commandant !

Bolitho sentait la sueur lui dégouliner jusqu’à la taille. Un demi-mille !

— Le français a hissé un signal, commandant !

On y était : ce n’était pas un aperçu codé, ils avaient compris à qui ils avaient affaire.

— Annulez cet ordre, monsieur Paget ! cria Keen. Etablissez les perroquets !

Des coups de sifflet : tout en haut, les gabiers gagnèrent comme des singes les vergues pour envoyer de la toile.

— Le vent se maintient, commandant, annonça Fallowfield. Suroît, y a pas d’doute.

Il semblait trop soucieux pour se préoccuper de l’ennemi en rapprochement par tribord avant.

— Trois encablures, commandant !

Ils entendirent un clairon qui sonnait l’alarme, faible son dans le vacarme du vent et du gréement.

Des hommes criaient dans tous les sens, on recaponna l’ancre et, tandis que les fusiliers tireurs d’élite grimpaient à toute vitesse pour rejoindre les hunes avec leurs mousquets ou pour armer les pierriers, le reste du détachement se répartit à l’arrière le long des filets, armes appuyées sur les hamacs rangés là.

Keen regardait la scène sans ciller, pesant l’instant précis. Il savait que Bolitho voyait tout et que Paget était prêt à réagir au moindre de ses ordres.

— A ouvrir les sabords !

Sur chaque pont, les mantelets se relevèrent lentement, tirés par leurs palans, comme des yeux ensommeillés qui s’entrouvrent.

— Mon Dieu, ils coupent leur câble, commandant !

Keen se mordit la lèvre : trop tard.

— En batterie !

Grinçant et grondant, les grosses pièces de l’Argonaute s’ébranlèrent et pointèrent leurs museaux dans les sabords. Sur le pont inférieur, les gueules des lourds trente-deux-livres montaient et descendaient déjà, les chefs de pièce ajustaient la hausse.

Bolitho emprunta sa lunette à Stayt et la pointa sur l’autre vaisseau. Il aperçut le hunier qui battait, libéré de sa vergue ; des hommes grimpaient dans la mâture tandis que d’autres se pressaient sur le château avant autour du câble. La citerne était encore amarrée à couple, des hommes fixaient l’Argonaute qui arrivait droit sur eux.

Le câble se rompit, et le deux-ponts français commença à tomber dans le lit du vent. La toile battait en désordre en tous sens, l’équipage essayait de reprendre en main le bâtiment.

— Batterie bâbord, parés !

Keen dut plisser les yeux pour éviter la lumière du soleil. Il attendit que le grand pavillon tricolore se fût affalé sur le pont, remplacé par le pavillon écarlate qui montait le remplacer à la corne. En tête du mât de misaine, la marque de Bolitho flottait fièrement au vent. Keen entendit un aspirant qui poussait des vivats.

Le bâton de foc de l’Argonaute croisa les bossoirs de leur adversaire qui se trouvait à moins d’une encablure.

Keen brandit son sabre. Il entendit à l’avant le raclement d’un anspect, on faisait pivoter la caronade tribord. Son énorme boulet de soixante-huit livres serait le premier à partir. Les autres pièces allaient faire feu au fur et à mesure qu’elles trouveraient leur cible, pas en bordée, mais un pont après l’autre, deux par deux.

— Dès que parés, les gars !

La lame s’abattit dans un grand éclair de lumière.

— Feu !

 

Flamme au vent
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